Ruralités transfrontalières

Territoires ruraux, espaces naturels transfrontaliers : différentes catégories d’analyse à construire

Les ruralités transfrontalières présentent à plusieurs égards certaines spécificités, avec des problématiques accentuées et nécessitant un ciblage plus particulier.
Ainsi, en visant à décliner les cadres de définition présentés en introduction, il est possible de construire quatre catégories d’analyse pour mieux caractériser le fait rural transfrontalier.
Ces différentes catégories d’analyse peuvent se cumuler pour un même espace donné.

Des territoires enclavés aux confins des Etats-nations, pour lesquels l’effet frontière reste présent

La première catégorie d’analyse qui peut être dégagée concerne des territoires ruraux pour lesquels la proximité d’une frontière s’apparente plutôt à une limite plutôt qu’à une position de carrefour. C’est le cas d’espaces ruraux isolés, pour lesquels les services de mobilité et de transport ne se prolongent pas de l’autre côté de la frontière et les coopérations transfrontalières ne sont pas assez abouties pour garantir un usage mutualisé de services publics avant tout nationaux. L’ouverture en transfrontalier est ici de nature à être pleinement motrice pour l’aménagement et le développement de ces espaces, en garantissant une offre de services supplémentaire, une meilleure accessibilité et une plus grande attractivité. La pointe Nord des Ardennes par exemple, avec le chaînon ferroviaire manquant entre Givet et Dinant, ou certaines vallées relativement isolées en montagne peuvent être associées à cette catégorie d’analyse. Leur désenclavement passe notamment par un développement en transfrontalier, comme en témoigne par exemple la mise en place de l’Hôpital de Cerdagne, exemple emblématique de service public déployé à l’échelle d’un bassin de vie transfrontalier relativement isolé.

Des territoires péri-urbains sous influence métropolitaine, en croissance et porteurs d’inégalités

Cette deuxième catégorie est caractéristique de territoires comprenant de nombreux travailleurs pendulaires transfrontaliers, et dont le développement est pleinement tiré par des métropoles ou espaces industriels voisins situés de l’autre côté de la frontière. Elle peut être appliquée par exemple aux espaces ruraux du Nord Lorrain ou à ceux de l’Arc jurassien. Pour ces espaces, si les mobilités professionnelles transfrontalières sont fortes, elles peuvent engendrer des problématiques liées au sous-dimensionnement des infrastructures de transports (congestions, pollution, retards…), et à des dissymétries dans les retombées fiscales liées au travail frontalier. Ces disparités tendent notamment à se traduire par une augmentation des inégalités entre les résidents, un manque de recettes fiscales pour les collectivités ayant la charge de mettre en place des services adaptés aux besoins de leur population résidente (accueil de la petite enfance, entretien des infrastructures et des réseaux techniques…), et par conséquent par de relatives tensions sur la cohésion sociale et le vivre-ensemble (montée de l’abstention, préjugés envers les transfrontaliers…).
Voir l'ouvrage "Etrangers familiers : les travailleurs frontaliers en Suisse, conceptualisation, emploi, quotidien et pratiques" sous la direction de Caludio Bolzman, Isabelle Pigeron-Piroth, et Cedric Duchêne-Lacroix.

Des espaces naturels et de montagne à préserver, des stratégies touristiques à redéfinir à 360°

Cette troisième catégorie s’applique notamment aux espaces de montagne et aux espaces naturels protégés, dont la préservation nécessite un travail en transfrontalier. Plus généralement, pour des espaces de faible ou très faible densité démographique, outre les enjeux qui peuvent être mentionnés en termes de services publics (voir première catégorie ci-dessus), les questions relatives au maintien des milieux naturels et à la reconversion touristique ne peuvent faire l’impasse d’une élaboration pleinement conjointe de part et d’autre du massif frontalier, ou de l’espace naturel sensible concerné. Par exemple, pour les espaces de montagne des Alpes ou des Pyrénées, la reconversion touristique à l’œuvre a beaucoup à gagner d’un travail en transfrontalier.  Que ce soit pour s’adapter aux conséquences du réchauffement climatique et à la fonte des glaciers, ou pour proposer des alternatives de diversification touristique, le développement de stratégies conjointes à l’échelle de deux versants est gage de nouvelles opportunités. C’est le sens des dynamiques de travail engagées à Modane en Savoie pour construire une destination bas-carbone franco-italienne, ou dans les Pyrénées (avec la stratégie Pyrénéenne, ou l’observatoire du changement climatique, portés par la Communauté de Travail des Pyrénées). 

Des lieux à distance des agglomérations, porteurs d’aménités résidentielles

La dernière catégorie d’analyse s’applique à des espaces ruraux frontaliers moins explicitement situés dans le rayon d’influence de grandes métropoles extérieures, avec peu de flux de navetteurs quotidiens, par contraste avec la deuxième catégorie. Pour autant leur proximité avec des espaces urbains voisins situés de l’autre côté de la frontière est une source d’attractivité à valoriser, en s’appuyant sur leurs aménités résidentielles. Par exemple, le Pays Basque français, moins peuplé que son voisin espagnol, est attractif pour des actifs ou retraités espagnols, souhaitant implanter leur résidence principale ou secondaire du côté français. Le même type de phénomène peut être constaté aux frontières suisses, belges ou allemandes avec des résidents du pays voisin venant s’implanter ou bénéficier des aménités des territoires ruraux situés de l’autre côté de la frontière à proximité. Réciproquement, pour le territoire Sambre-Avesnois par exemple, le développement de coopérations transfrontalières à l’échelle du bassin de vie partagé et les équipements urbains belges voisins sont un levier pour renforcer l’attractivité résidentielle de l’espace rural.

 

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