L'UE fait bloc face au virus - la nécessaire coordination

Article publié à l'occasion du Dossier spécial de la newsletter de la MOT sur le COVID-19 : la gestion de la crise sanitaire aux frontières

Cop : Etienne Ansotte ; Source : EC - Audiovisual Service

Une première tendance au repli sur soi

L’Europe est maintenant l’épicentre de la pandémie du coronavirus, COVID-19.  En réponse à sa propagation, plusieurs Etats membres de l’Union européenne ont appliqué des fermetures plus ou moins partielles de frontières en ordre dispersé, et des mesures unilatérales non concertées. Face à cette situation de repli national, un appel d’un collectif de 450 européens1 (universitaires, société civile, entreprises et institutions) a demandé une réponse européenne au coronavirus. La Commission européenne quant à elle a appelé le vendredi 13 mars à ce que les mesures décidées aux frontières soient "coordonnées, opérationnelles, proportionnées et efficaces".

Mise en place d’une coordination européenne

Le rôle de la Commission européenne consiste à aider les États membres à faire face à la crise en formulant des recommandations sur la coordination des actions et une conduite commune. Il s’agit notamment d’assurer de la protection des personnes contre la propagation du virus et de limiter la pression exercée sur le système sanitaire européen, tout en maintenant les flux de marchandises essentielles au sein du marché intérieur. Pour ce faire, le mécanisme de gestion des crises de la Commission, ARGUS2, a été activé. L’équipe de coordination comprend 8 commissaires chargés des domaines d’action les plus concernés, dont Ylva Johansson, commissaire des affaires intérieures, pour les questions liées aux frontières, et Janez Lenarčič, Commissaire pour la gestion de crise, qui la préside.
Au niveau du Conseil, la présidence croate a activé en janvier 2020 le dispositif intégré de l'UE pour une réaction au niveau politique dans les situations de crise, IPCR3, en mode "partage de l'information"4, passé début mars en mode "activation totale" qui permet la tenue de tables rondes de crise5. Les ministres de la santé et de l’Intérieur tiennent ainsi des conférences téléphoniques quotidiennes. Le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC)6 recueille par ailleurs des données sur l’épidémie et émet des recommandations.
Les propositions de la Commission européenne visant à lutter contre la propagation du coronavirus, ont été approuvées le 17 mars par le Conseil européen extraordinaire. Les Etats membres ont validé les "lignes directrices relatives aux mesures de gestion des frontières visant à protéger la santé publique et à garantir la disponibilité des biens et des services essentiels"7. Elles visent à restreindre les contrôles aux frontières intérieures et les entraves au marché unique. Les contrôles aux frontières extérieures sont renforcés.

Frontières extérieures : interdiction des voyages non essentiels

Les Etas membres ont approuvé la proposition de la Commission européenne d’interdire les voyages "non essentiels à destination de l’UE", pour une durée initiale de trente jours, ce qui veut dire de fermer temporairement les frontières extérieures de l’UE8. Cette proposition prévoit un certain nombre d’exceptions9, comme les travailleurs transfrontaliers qui devront pouvoir entrer dans l’UE ;  le "flux des marchandises vers l’UE doit continuer à garantir l’approvisionnement, y compris des articles essentiels".  La Commission européenne recommande par ailleurs des contrôles sanitaires aux  frontières extérieures pour endiguer le virus.

Frontières intérieures : maintenir la libre-circulation

Les lignes directrices précisent par ailleurs qu’"il est essentiel de préserver le fonctionnement du marché unique […] notamment en ce qui concerne les chaînes d’approvisionnement" et que les Etat membres devront s’abstenir "de toute pratique déloyale". Les Etats membres se sont  mis d’accord sur l’importance d’établir des couloirs dédiés aux camions d’approvisionnement de première nécessité, notamment pour le personnel sanitaire. Une attention particulière est accordée aux travailleurs transfrontaliers, notamment ceux travaillant dans les secteurs de la santé et de l'alimentaire, dont le passage doit être non seulement autorisé, mais facilité. Lors de la conférence de presse le lundi 16 mars, Ursula von der Leyen a relevé le cas du Luxembourg, où "la majorité des agents de santé des hôpitaux vivent soit en France, soit en Allemagne et doivent faire la navette rapidement". De même, les États membres doivent se coordonner pour que les dépistages portant sur la santé soient réalisés d’un seul côté de la frontière afin d’éviter les chevauchements et les délais d’attente.

Mobilisation des fonds

Selon Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), l’épidémie de coronavirus pourrait entraîner des conséquences économiques comparables à celles de la crise de 2008, et son impact se ressent déjà dans de nombreux secteurs.
La Commission européenne prend des mesures pour atténuer les conséquences socio-économiques de l'épidémie ; elle a plaidé dans sa communication du 13 mars à destination du Parlement européen, du Conseil européen,  de la Banque Centrale européenne et de la Banque européenne d’investissement, pour une réponse économique coordonnée face au COVID-1910.

De son côté, elle a lancé l’Initiative d’investissement en réaction au coronavirus (CRII)11, à laquelle contribuent la politique de cohésion et le Fonds de solidarité de l’UE. La Commission européenne propose ainsi de réaffecter les fonds structurels non dépensés, d’un montant de 37 milliards d’euros, au soutien des systèmes de santé, des PME, et des secteurs et des travailleurs les plus touchés. L’exécutif européen envisage également de débloquer 28 milliards d’euros supplémentaires, toujours issus des fonds structurels, à la couverture de ces dépenses. Avec le soutien de la Commission, la Banque européenne d’investissement (BEI) mobilisera 8 milliards d’euros à destination d’au moins 100 000 PME. Par ailleurs, jusqu’à 800 millions d’euros issus du Fonds de solidarité de l’UE, destiné à répondre aux situations de crise, pourront être mobilisés. Elisa Ferreira, Commissaire de la cohésion et des réformes, et Nicolas Schmidt, Commissaire de l'emploi et des droits sociaux, ont écrit le 18 mars à tous les pays de l'UE pour les informer du soutien individuel à chaque Etat membre12, qu'il peut recevoir dans le cadre de l'initiative d'investissement (CRII) dans la lutte contre le coronavirus et en lien avec le Fonds de solidarité de l’UE.

La Commission européenne a également proposé un programme-cadre d’aide temporaire. Les gouvernements nationaux devront ainsi pouvoir bénéficier d’une flexibilité en matière de législation sur les aides d’Etat accordées aux entreprises et injecter des fonds publics aux entreprises, sans l’aval de Bruxelles13. Ils pourront ainsi verser des subventions directes ou d’octroyer des avantages fiscaux, en particulier aux PME.
De nombreuses autres mesures ont été lancées, comme la promesse de la Commission européenne de renoncer à sa fameuse règle des 3% de déficit à l’encontre des pays membres et d’assouplir les aides d’Etat. En clair, le mot d’ordre est à la "flexibilité maximale" pour donner la priorité à la lutte contre le virus et ses conséquences socio-économiques à venir ; ou le soutien de la recherche pour des vaccins, un diagnostic et un traitement, en mobilisant 140 millions d’euros de fonds publics et privés etc.

L’Eurogroupe s’est mis d’accord sur une réponse de politique économique et a annoncé le 16 mars de faire "tout ce qui est nécessaire"14. Les ministres des Finances de la zone euro ont ainsi pris des mesures budgétaires et fiscales, comme des investissements (fonds structurels, prêts...) pour environ 1% du produit intérieur brut de la zone euro, soit environ 105 milliards d’euros. Les Etats membres ont également décidé de nouvelles règles budgétaires plus souples pour environ 10% du produit intérieur brut : des garanties publiques avec la possibilité de paiement d’impôt différé, le paiement d'impôts différés pour les entreprises...

Enfin, la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé le 18 mars un plan de sauvetage. Le conseil des gouverneurs a décidé un programme d’urgence de rachats de titres en cas de pandémie (Pandemic Emergency Purchase Programme - PEPP) à hauteur de 750 milliards d’euros.

Toutes ces mesures visent à atténuer les conséquences socio-économiques de l'épidémie sur l’économie et le marché européen.



Notes :

1. http://www.cesue.eu/en/contact-us.html

2. Système général d'alerte rapide de la Commission européenne, qui permet d’assurer une synergie entre l’action de tous les services concernés de la Commission européenne https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52005DC0662&from=FR

3. L'IPCR est le dispositif intégré de l'UE pour une réaction au niveau politique dans les situations de crise transsectorielles, dont l’objectif d'assurer une coordination au plus haut niveau. https://www.consilium.europa.eu/media/29699/web_ipcr.pdf  (en anglais).

4. Grâce à ce mode "partage de l'information", les États membres ont accès à des rapports de connaissance et d'analyse de la situation, établis régulièrement par la Commission européenne et le Service européen pour l'action extérieure (SEAE), ainsi qu’une page spécifique sur une plateforme web sécurisée pour partager des informations.

5. Ces tables rondes de crise comprennent les États membres touchés, la Commission européenne, le Service européen pour l'action extérieure, le cabinet du président du Conseil européen et les agences et experts compétents de l'UE.

6. Agence européenne établie en 2005, dont la mission est le renforcement des défenses de l'Europe contre les maladies infectieuses. Son siège est à Stockholm https://www.ecdc.europa.eu/en

7. COVID-19 Lignes directrices relatives aux mesures de gestion des frontières visant à protéger la santé publique et à garantir la disponibilité des biens et des services essentiels
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52020XC0316(03)&from=FR

8. Elargies aux quatre pays non-membres de l’UE qui ont adhéré à l’espace Schengen, c’est-à-dire la Suisse, l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège, ainsi que le Royaume-Uni.

9. La fermeture ne concernera pas les citoyens européens et leur famille, les résidents permanents, les travailleurs transfrontaliers, les diplomates, les personnels, chercheurs et experts de santé.

10. Brussels, 13.3.2020, COM(2020) 112 final, Communication from the Commission to the European Parliament, the European Council, the European Central Bank, the European Investmant Bank and the Eurogroup : Coordinated economic response to the COVID-19 Outbreak. https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/communication-coordinated-economic-response-covid19-march-2020_en.pdf

11. Proposition de RÈGLEMENT DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL modifiant le règlement (UE) nº 1303/2013, le règlement (UE) nº 1301/2013 et le règlement (UE) nº 508/2014 en ce qui concerne des mesures spécifiques visant à mobiliser des investissements dans les systèmes de soins de santé des États membres et dans d’autres secteurs de leur économie en réaction à l’épidémie de COVID-19 [Initiative d’investissement en réaction au coronavirus] COM/2020/113 final https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52020PC0113&qid=1584609360297&from=FR 

12. Les courriers adressés aux différents Etats membres : https://ec.europa.eu/regional_policy/en/newsroom/coronavirus-response/

13. Verser des subventions directes plafonnées à 500 000 euros par société, accorder des garanties de l’État financées par des prêts bancaires, consentir des prêts publics et privés à taux réduit, et transférer des liquidités aux banques pour qu’elles les injectent dans les PME.

14. Déclaration de l’Eurogroup du 16 mars 2020 : https://www.consilium.europa.eu/en/press/press-releases/2020/03/16/statement-on-covid-19-economic-policy-response/