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Introduction

En mars 2020, l’Europe a été frappée par la pandémie de Covid-19. Parmi les mesures prises par les États pour la combattre, certaines ont touché les frontières nationales, de manière disproportionnée. La fermeture par la plupart des Etats, du jour au lendemain, de frontières très ouvertes, a eu de graves conséquences pour les territoires transfrontaliers. Elle a révélé la contradiction entre la réalité de la vie quotidienne transfrontalière des personnes, et l’absence de coordination patente des politiques nationales, ce qui non seulement a fortement perturbé cette vie quotidienne (au-delà des contraintes légitimes que les populations ont dû subir), mais aussi entraîné le retour de représentations négatives et erronées de la frontière et du pays voisin.

Les institutions ont été mises au défi par cette crise, notamment celles en charge de la gouvernance des frontières, dont elle a révélé les insuffisances. La crise a mis en évidence les nombreuses interdépendances socio-économiques ou humaines, non seulement au niveau mondial ou européen, mais aussi au niveau local transfrontalier. Ces interdépendances appellent désormais à construire ou conforter une intégration transfrontalière et européenne qui soit aussi politique.

La crise sanitaire a touché les habitants de toutes les régions, mais plus encore les régions frontalières.

Elle a prouvé que la frontière est un handicap quand elle crée des obstacles, mais un atout quand elle est ouverte. Elle a amplement confirmé la justification que ces régions soient identifiées par l’article 174 du TFUE – qui fonde l’objectif de cohésion territoriale- comme méritant une attention spécifique des politiques publiques nationales et européennes. La révision du règlement Schengen vise, en ce sens, à mieux prendre en compte l’impact de la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures sur les régions frontalières.

De façon générale, les leçons tirées de la pandémie doivent permettre de repenser le fait frontalier, d’une façon plus rigoureuse et partagée, indispensable pour un traitement plus approprié par les politiques publiques, au service des personnes.

Problèmes rencontrés et enjeux pour les territoires transfrontaliers

La fermeture des frontières en réaction à la pandémie de Covid-19 a eu des impacts majeurs sur les régions frontalières. Elles ont été plus touchées que toute autre région d’Europe. Plusieurs impacts mettant en tension les mécanismes structurels de coopération transfrontalière peuvent être recensés :

  • Impacts économiques : les restrictions d’accès aux frontières ont eu un impact négatif majeur sur des économies fortement dépendantes de leurs travailleurs transfrontaliers. Au Luxembourg, 45% des emplois sont occupés par des frontaliers. Ce taux monte à près de 70% au sein des professions médicales, parmi lesquels une majorité de Français. Leur absence aurait pu donc avoir un effet particulièrement délétère sur le système de santé luxembourgeois si leur passage n’avait pas été facilité par les autorités luxembourgeoises durant la crise. Ainsi, la frontière franco-luxembourgeoise n’a-t-elle jamais été complètement fermée, du côté luxembourgeois.
    Cette forte dépendance à l’égard d’une main d’œuvre transfrontalière est également marquée dans le secteur médical au sein des cantons suisses.
    L’un des secteurs souffrant le plus des conséquences de la crise sanitaire est celui du tourisme. Or, ce dernier constitue une activité essentielle en particulier pour les territoires de montagne tels que ceux des Pyrénées ou des Alpes. A la frontière franco-espagnole, le secteur touristique représente ainsi plus d’un tiers des revenus du département des Hautes-Pyrénées.
  • Impacts sur la mobilité transfrontalière : si des mesures à destination des travailleurs travaillant de l’autre côté de la frontière ont pu être prises, cette traversée a été rendue d’autant plus compliquée du fait de la fermeture de services transfrontaliers et de la réduction du nombre de points de passages frontaliers et du nombre croissant de contrôles sanitaires.
    Fin 2020, une quinzaine de points de passage ont ainsi été fermés entre la France et l’Espagne.  Face à cette situation, une déclaration commune des présidents des territoires pyrénéens (Euskadi, Navarre, Aragon, Catalogne, Andorre, Occitanie et Nouvelle-Aquitaine) composant la Communauté de Travail des Pyrénées, a été signée pour contester ces fermetures.
  • Impacts juridiques et fiscaux : les restrictions d’accès au territoire voisin ont suscité des inquiétudes quant au maintien des droits des travailleurs frontaliers en lien avec l’accélération des mesures de télétravail durant cette période.
    Des mesures d’urgence ont été prises pour maintenir les liens économiques entre pays (notamment entre l’Allemagne, la France, la Suisse et le Luxembourg) et acter le maintien des contrats de travail des frontaliers.  Les possibilités de télétravail au-delà des 25% des horaires du salarié ont ainsi pu être élargies et les droits de protection sociale ou la totalité de la rémunération ont pu être garantis, dans l’ensemble.
    Le maintien du télétravail à un niveau plus élevé qu’avant la crise, souhaité par les salariés, et favorable à la réduction de la congestion transfrontalière, nécessite d’améliorer le cadre bilatéral et européen. Plus d’infos dans l’étude menée par la MOT sur ce sujet.
    Pour les secteurs ne permettant pas le télétravail ou conduisant au chômage technique, l’impact sur les travailleurs a été d’autant plus sévère. Ainsi, sur la frontière franco-espagnole, le recours aux travailleurs saisonniers espagnols dans des secteurs tels que le tourisme, l’agriculture ou le BTP, a fait défaut.
  • Impacts pour les résidents transfrontaliers : au-delà des impacts économiques, la spécificité des régions frontalières réside également dans le fait que ces dernières constituent des « communautés de vie » pour les habitants de part et d’autre de la frontière, dépassant le simple cadre national. Certains d’entre eux ont construit leur histoire personnelle au cœur de ces territoires, créant des liens familiaux et matrimoniaux au-delà des frontières. Le franchissement de la frontière est ainsi une réalité vitale pour nombre de frontaliers leur permettant d’aller étudier, travailler, de retrouver leur conjoint ou d’aller faire leurs courses. Avec la fermeture des frontières et les différentes mesures de confinement prises, les séparations intrafamiliales ont été particulièrement exacerbées en contexte transfrontalier.
    De même, les stagiaires et apprentis ont fait face à des difficultés d’accès à leur entreprise de l’autre côté de la frontière, du fait de politiques différentes entre pays. Au Luxembourg, les apprentis sont considérés comme étudiants et non comme salariés. Ils n’ont donc pas été autorisés à traverser la frontière pour rejoindre leur entreprise. A la frontière franco-belge, ce sont les stagiaires français qui n’ont pu se rendre à leur travail en Belgique.
    Enfin, la fermeture des frontières a révélé l’importance des volumes d’achat en transfrontalier de certains produits de consommation courante (tabac, essence…). A Kehl, ville située à la frontière franco-allemande, une large part des ventes est tirée par la clientèle française. Son absence a eu des répercussions particulièrement négatives pour les commerçants.

Comment la crise a-t-elle été vécue par les habitants des territoires transfrontaliers ?

Selon les territoires, le niveau d’acceptabilité de la fermeture des frontières a été variable.
Dans certains espaces transfrontaliers, des citoyens français ont pu faire face à des comportements hostiles à leur égard.
L’Alsace et la Moselle ayant été parmi les premiers foyers de Covid-19 sur le territoire français, la plupart des habitants des régions allemandes voisines ont vécu la fermeture des frontières comme un rempart contre la propagation du virus. La situation à la frontière a pu susciter des tensions : les citoyens français avaient la sensation d’être indésirables dans les commerces, alors que les Allemands pouvaient librement traverser la frontière pour se rendre en France.
En revanche, les mesures de confinement en France et au Luxembourg ayant été assez similaires et ayant eu lieu à peu près en même temps, l’acceptation a été globalement la même, de part et d’autre de cette frontière.
Le choc de la fermeture des frontières pour les habitants des territoires transfrontaliers a poussé de nombreux citoyens à manifester leur mécontentement. La Journée de l’Europe (9 mai 2020) a été l’occasion de regroupements dans des communes luxembourgeoises telles que Dudelange, dans le canton d’Esch-sur-Alzette mais également à la frontière franco-allemande, où entre 100 et 200 Français et Allemands se sont rassemblés pour exprimer leur solidarité avec les voisins et contester la fermeture des frontières dans un espace aussi étroitement interconnecté que cette agglomération transfrontalière.
En parallèle de ces manifestations, des pétitions ont été lancées. Un citoyen belge a ainsi lancé une pétition intitulée « La liberté de circuler librement entre la France et la Belgique ! » – ayant recueilli plus de 6 000 signatures – pointant l’absurdité de ces contrôles pour un territoire transfrontalier aussi intégré que celui de l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai.

Le rôle clé des organisations transfrontalières dans la gestion de crise

Les structures transfrontalières ont joué un rôle majeur pour informer les populations pendant la crise. Elles apportent une véritable valeur ajoutée de par leur proximité avec les citoyens (une porte à laquelle les gens peuvent frapper pour obtenir des informations sur les questions relatives aux frontières) ; leur capacité à faciliter le dialogue entre « deux mondes » notamment lorsque deux langues différentes sont parlées et par leur capacité à sensibiliser aux problèmes spécifiques rencontrés par les personnes dont la vie est organisée au-delà des frontières nationales.

Là où les institutions transfrontalières – comme les Groupements européens de coopération territoriale (GECT) – n’existaient pas, les difficultés ont souvent été critiques. Là où elles existaient, elles ont réagi. Les structures locales de la coopération transfrontalière tels que les eurodistricts franco-allemands, proches des citoyens, ont été parmi les premières.

  • L’Eurodistrict PAMINA a produit une lettre d’information quotidienne bilingue avec des chiffres et des nouvelles actualisées à destination des frontaliers franco-allemands.
  • A la frontière franco-belge, l’Eurométropole Lille- Kortrijk-Tournai a également été très active pendant la crise. De nombreux citoyens belges et français se sont tournés vers l’institution pour poser des questions liées à leur situation spécifique. Le site Internet de l’Eurométropole a été régulièrement mis à jour avec des informations sur les nouvelles réglementations adoptées par la France et la Belgique.

En plus de ces actions de communication, des enquêtes ont été réalisées auprès des habitants des bassins de vie transfrontaliers pour mieux comprendre les principaux obstacles auxquels ceux-ci ont dû faire face pendant la crise.

  • L’Eurorégion Nouvelle-Aquitaine-Euskadi-Navarre a ainsi lancé une enquête sur les conséquences de la fermeture des frontières, depuis le début de la pandémie Covid-19, ayant recueilli plus de 2 200 réponses. Les résultats obtenus ont pu appuyer les actions de plaidoyer de cette dernière auprès des autorités nationales afin de les sensibiliser aux problématiques vécues par les citoyens et les régions frontalières. Pour la première fois, l’Eurorégion Nouvelle-Aquitaine-Euskadi-Navarre a ainsi pu présenter les enjeux transfrontaliers au Congrès des Députés espagnols, à la Commission pour la « Reconstruction sociale et économique », dans un groupe dédié à l’Union européenne.

Dans les zones frontalières françaises où la coopération est la plus poussée, la gestion de la crise a pu être facilitée avec la mise en place de groupes de travail spécialisés.

  • A la frontière franco-allemande, la région Grand Est a pris l’initiative de mieux coordonner le vaste réseau de structures transfrontalières et de points d’information frontaliers existant afin d’éviter la dispersion de ces structures. Cela a permis de réunir les différentes parties composant le Comité de coopération transfrontalière et tous les Eurodistricts franco-allemands -afin de déployer des actions plus efficaces autour d’une phase coordonnée de réouverture entre la France et l’Allemagne.

La constitution de comités et groupes de travail s’est ainsi transformée en un outil de gestion des crises. Dans de nombreux cas, la composition des comités s’est même élargie pour couvrir des domaines thématiques spécifiques (santé, fiscalité, sécurité sociale), grâce au suivi transversal des projets de coopération spécifiques réalisés par les structures transfrontalières, qui leur ont permis d’avoir des contacts précieux de part et d’autre et d’avoir une vision globale des acteurs mobilisés selon le domaine thématique.

Exemples d'actions menées

Coopération sanitaire transfrontalière :

  • Organisation du transfert de patients en réanimation entre pays voisins (notamment entre les territoires du Grand Est et l’Allemagne, la Suisse, le Luxembourg)Accueil de patients et envoi de matériel médical de part et d’autre de la frontière : exemples des hôpitaux français et andorrans et de l’hôpital de Cerdagne. Plus d’infos

Diffusion et collecte d’informations sur la situation aux frontières :

  • L’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai a fourni des informations comparatives systématiques sur son site Internet et par le biais des médias.
  • Outil numérique de franchissement des frontières (Rhin supérieur) : fruit d’un partenariat entre la Collectivité européenne d’Alsace, la Région Grand Est, le Centre Européen de la Consommation et le réseau INFOBEST, cet outil est destiné à apporter aux habitants du Rhin Supérieur des informations précises et actualisées, sur les règles françaises, allemandes et suisses, de franchissement des frontières. Plus d’infos
  • Outil d’observation à l’échelle du Rhin supérieur : cartographie dynamique simplifiée permettant la visualisation et l’interrogation de données mises à jour régulièrement relatives à l’évolution de l’épidémie de Covid-19 dans la région trinationale franco-germano-suisse. Plus d’infos
  • Enquête de l’Eurorégion Nouvelle-Aquitaine-Euskadi-Navarre « Impact de la fermeture des frontières sur les citoyens transfrontaliers » lancée au mois de Juin 2020 afin d’analyser les conséquences de la fermeture des frontières depuis le début de la pandémie sur la vie des citoyens transfrontaliers. Plus d’infos

Mise en place de Task Forces et plateformes d’échanges entre acteurs transfrontaliers :

  • Cellule de contact transfrontalière : coordination de proximité associant des partenaires français et allemands (trois Länder allemands, la Région Grand Est, la Préfecture de région, l’ARS Grand Est et les autorités sanitaires, policières et affaires étrangères du Bund). Ce groupe de contact transfrontalier a notamment contribué à la mise en place progressive de transferts de patients du Grand Est vers l’Allemagne, le Luxembourg et la Suisse et a permis de structurer une réponse commune aux urgences sanitaires, tout en facilitant la remontée des difficultés liées à la traversée de la frontière par des acteurs économiques placés en première ligne. Plus d’infos
  • Création d’un groupe de contact « local » regroupant la Région Grand Est, la Préfecture, les Départements frontaliers, la CCI et les Eurodistricts après la première semaine de crise pour diffuser les informations, recenser les besoins et attentes, témoigner des freins aux passages aux frontières et faire part des informations recueillies auprès de leurs partenaires respectifs.
  • Au niveau européen : le Comité européen des régions a lancé une plateforme d’échange sur le Covid-19 pour aider les dirigeants locaux et régionaux à faire connaître leurs besoins et leurs solutions et pour renforcer l’entraide des communautés locales dans toute l’Europe.

De nouveaux outils de gouvernance pour une meilleure gestion de crise :

  • Certaines de ces actions (notamment la cellule de contact franco-allemande, initiée par la Région Grand Est) ont bénéficié de l’existence d’accords bilatéraux tels que le Traité d’Aix-la-Chapelle (TALC), signé en 2019 et qui a inspiré la rédaction du Traité du Quirinal avec l’Italie.
  • A l’image du CCT créé par le TALC, il existera également un Comité de coopération frontalière franco-italien.  L’article 10 de ce traité, consacré entièrement à la coopération transfrontalière entre la France et l’Italie, prévoit la réunion de ce comité de coopération « au moins une fois par an » et notamment « en cas de crise susceptible d’affecter les deux côtés de la frontières ».  Il permet également de « proposer des projets de coopération frontalière dans tous les domaines de politiques publiques, et toute solution pour leur réalisation ».
  • A l’échelle européenne, la révision du règlement Schengen tire également des leçons de la crise de Covid-19. Son objectif est de garantir que la réintroduction de contrôles aux frontières intérieures reste une mesure de dernier recours tout en visant une plus grande coordination européenne.
    Les impacts sur les régions transfrontalières de la réintroduction des contrôles aux frontières font notamment l’objet d’une attention toute particulière dans le projet de règlement avec de nouveaux critères sur cette réintroduction où « un Etat membre [devra examiner] […] l’impact probable d’une telle mesure sur : […] le fonctionnement des régions transfrontalières, compte tenu des liens sociaux et économiques étroits qui les unissent. » (Article 26 – Critères pour la réintroduction temporaire et la prolongation du contrôle aux frontières intérieures).