Santé

L'évolution du cadre juridique

L'adaptation de la réglementation à la coopération transfrontalière

Certains Etats membres ont adapté leurs outils de planification des services de santé à la coopération transfrontalière. La France par exemple a intégré la dimension transfrontalière pour la première fois lors de l’élaboration de ses "schémas régionaux d’organisation sanitaire" (SROS III) en 2006 (aujourd’hui  "schémas régionaux d'organisation des soins").

Des accords ont été également conclus entre les Etats, les régions, les financeurs et les acteurs de soins. En ce qui concerne la mobilité des patients ou des professionnels, des accords sur le remboursement des soins ou des autorisations d’exercer de l'autre côté de la frontière ont été adoptés.

Par ailleurs, des instruments bilatéraux ont été mis en place au niveau national. Ils ont pour objectif de faciliter une coopération transfrontalière préexistante ou de la développer. Ainsi, plusieurs accords-cadres ont été conclus par la France, l’un avec l’Allemagne en 2005, un autre avec la Belgique (signé en 2005 et ratifié en 2011), un également entre la France et l'Espagne, adopté en 2008. La même année, la France a également signé avec la Hongrie un accord bilatéral sur la coopération en matière de santé. Des accords-cadres de coopération sanitaire sont en outre en cours de négociation avec la Suisse, le Luxembourg, et la Principauté de Monaco. Néanmoins, de tels accords ne permettent pas de lever tous les obstacles au développement de la coopération transfrontalière. Outre qu’ils peuvent être utilisés comme facteurs de recentralisation, leur mise en application nécessite un certain délai et ne règle pas toutes les difficultés rencontrées localement.
Même si la France et l’Allemagne ont déjà codifié dans leurs droits nationaux respectifs les règles successives énoncées par la Cour de Justice de l’Union européenne (Sozialgesetzbuch et code de sécurité sociale), il manquait un texte commun à tous les pays européens, venant consolider le principe de libre circulation des patients, leur permettant de se faire soigner à l’étranger en ambulatoire sans autorisation préalable de la caisse d’affiliation, et harmonisant les modalités de prise en charge des soins transfrontaliers. C’est chose faite avec la directive santé en 2011 (en vigueur dans tous les Etats européens depuis 2013), dont les règles doivent coexister avec celles des règlements européens 883/2004/CE et 987/2009/CE.

Le règlement 883/2004/CE pose le principe d’égalité de traitement des citoyens européens en matière de soins de santé : les ressortissants ou les résidents d’un pays de l’UE sont égaux devant les droits et obligations prévues par la législation nationale. Plus concrètement, il prévoit qu’un patient soigné pour des soins d’urgence ou des soins planifiés (avec autorisation préalable) dans un autre Etat que celui où il est assuré, soit traité dans les mêmes conditions que les personnes assurées dans cet Etat. Cela signifie concrètement que le coût des soins sera remboursé par l’organisme d'assurance sociale du pays d’affiliation (au patient ou à l’organisme d'assurance sociale du pays de soin, selon le système,) en fonction des taux et barèmes en vigueur dans le pays de soin. 

Une avancée bilatérale importante a eu lieu en juillet 2016 avec la signature d’un accord franco-suisse (en vigueur depuis octobre 2016) ayant pour objet d’éviter la double affiliation des travailleurs frontaliers aux assurances maladies des deux pays, et de leur permettre de choisir entre les deux régimes. Des questions demeurant sur la rétroactivité de cette mesure, la Cour de cassation a rendu un arrêt le 15 mars 2018 tranchant en faveur de  9.789 travailleurs frontaliers travaillant en Suisse qui avait demandé leur radiation rétroactive de la sécurité sociale française. En mars 2018, la Ministre de la Santé Agnès Buzyn s’est engagée à faire appliquer cette décision.

L'évolution des enjeux européens en matière de santé

Au départ la santé n’est pas directement prise en compte dans les traités européens, entre le Traité de Rome et l’Acte unique de 1986. Elle est considérée pour la première fois dans l’AUE sous la forme d’une législation destinée à protéger la santé et la sécurité des travailleurs dans un marché unique intégré. Entre 1986 et 1997 des enjeux communautaires en matière de santé se développent, à travers des programmes de lutte contre le cancer et contre le sida, et le besoin d’une politique commune grandit notamment dans un contexte de nombreuses crises sanitaires comme celle de la vache folle.

Le traité de Maastricht en 1992 (article 129) définit la base juridique des compétences de l’Union Européenne en matière de santé publique, étendue ensuite en 1997 par le Traité d’Amsterdam (adoption de décisions contraignantes). La santé est définie comme compétence partagée dans l’article 6 du TFUE. En 1999 la DG SANCO (Direction générale de la santé et des consommateurs) est créée, aujourd’hui devenue la DG SANTE. Ces compétences communautaires en matière de santé sont par ailleurs définies par l’article 168 du Traité de Lisbonne (2009), par l’ambition d’une prise en compte des enjeux de santé dans toutes les politiques de l’UE, le développement de la coopération dans les régions frontalières, et élargit le champ des compétences.

La directive santé, proposée en 2008, est le produit de l'imbrication progressive des intérêts européens avec ceux des acteurs de santé. Le secteur a en effet été influencé par la construction du marché intérieur européen. Cette influence s’est faite de façon indirecte, c'est-à-dire sur des fondements autres que sanitaires. Le développement du marché intérieur en matière de biens a conditionné par exemple l’adoption de directives concernant le médicament et les dispositifs médicaux. 

La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a d’une certaine manière accéléré ce processus en définissant les soins médicaux (arrêts Kohll et Decker de 1998) et les soins hospitaliers (arrêt Smits et Peerbooms de 2001) comme des services et en leur appliquant le principe de libre circulation. Ce dernier prime sur l’autorisation préalable nécessaire à recevoir des soins à l’étranger, au moins en ce qui concerne les soins non hospitaliers. Remettant ainsi en cause la coordination des politiques de protection sociale mises en place avec le règlement 1408 de 1971, la Cour européenne de justice avait créé une incertitude juridique.

Forte de cette jurisprudence, la Commission a proposé dans un premier temps d’intégrer les services de santé et la jurisprudence de la Cour en matière de mobilité des patients dans les directives "services" de 2004 (dite Bolkenstein). L’exclusion des services de santé à la demande quasi unanime des Etats membres, du Parlement européen et de la société civile, a conduit la Commission européenne, après une consultation de septembre 2006 à janvier 2007, à proposer une initiative santé qui s'est traduite par une proposition de directive, adoptée le 19 janvier 2011. Entre temps, l'élargissement des compétences de l'UE  avec le traité de Lisbonne en 2009 a fait des enjeux en matière de santé publique une compétence partagée1 de l'Union européenne.

La directive européenne, relative aux soins transfrontaliers

La directive européenne de mars 2011 transposée par les Etats membres en 2013, codifie la jurisprudence de la CJUE2 et garantit la mobilité des patients et la libre prestation de services de santé. Elle précise (considérant 29 du préambule) la nécessité de garantir aux patients la prise en charge des coûts des soins de santé (dans un autre Etat que celui d’affiliation) au minimum à hauteur de ce qui serait offert pour des soins identiques dispensés dans l’État membre d’affiliation. La directive s’applique uniquement aux soins programmés, non aux soins d’urgence, qui sont régis toujours par le règlement.
Ainsi, le régime du règlement 883/2004 et de la directive 2011/24/CE coexistent et sont complémentaires. En fonction de la comparaison entre le système du pays d’affiliation et celui du pays des soins (régime le plus avantageux), soit la directive, soit le règlement s'applique.

Les Etats membres doivent également mettre en place des points de contacts nationaux (associations de patients, prestataires et assureurs de soins de santé), chargés de fournir aux patients des informations sur leurs droits et les coordonnées d'autres points de contact dans les Etats membres. La méconnaissance de la directive par les patients européens est une des préoccupations majeures de la Commission européenne en matière de santé. En France, le Centre des Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale (Cleiss) est le point de Contact National Français pour les soins de santé transfrontaliers.
La directive prévoit également la mise en place d’un réseau des autorités nationales responsables de la "santé en ligne" en vue de renforcer la continuité des soins et de garantir l’accès à des soins de santé de qualité. Enfin, la création d'un réseau des autorités ou organes responsables de l’évaluation des technologies de la santé a pour objectif de faciliter la coopération entre les autorités nationales compétentes dans ce domaine.

En 2015 la Commission européenne a publié un rapport destiné au Parlement européen sur le fonctionnement de la Directive de 2011 relative aux soins de santé transfrontaliers. Elle a par ailleurs publié un autre rapport en octobre 2016, faisant un état des lieux de l’application de la directive dans les Etats membres.  

AUTRES INSTRUMENTS EUROPéENS EN MATIèRE DE SANTé PUBLIQUE

D’autres instruments d’actions dans le domaine de la santé se sont développés au niveau européen, comme les programmes pluriannuels de santé publique à partir de 2003, des recommandations spécifiques par pays dans le cadre du semestre européen, ou la Méthode ouverte de coordination (MOC) afin de collecter des données sur les soins de santé, à partir de 2004. 

D’autres instruments existent comme l’Autorité européenne de sécurité des aliments, l’Agence européenne des médicaments ou encore le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies.

  1. Article 4 TFUE. Pour en savoir plus sur la législation européenne en matière de santé : " L'action communautaire complète les politiques nationales et encourage la coopération entre les Etats-membres. Cependant la définition des politiques nationales de santé demeure une compétence exclusive propre aux Etats-membres. Par conséquent, l’action de l’UE ne doit pas comprendre la définition des politiques de santé, ni l’organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux. La politique européenne de la santé consiste donc à développer une compétence partagée avec les États membres et à compléter les politiques nationales." Plus d'infos.

  2. Il est question notamment de l'arrêt Van Braeckel (12 juillet 2001). La CJUE a estimé que, pour une intervention réalisée à l'étranger, le remboursement doit être au moins aussi favorable que celui prévu dans son État membre d'affiliation. En conséquence, un assuré qui a bénéficié d'une prise en charge à l’étranger peut solliciter un "complément différentiel" auprès de son organisme d'assurance sociale, si la prise en charge dans son Etat d’affiliation était plus élevée.