Emploi

L'évolution du travail transfrontalier depuis la crise sanitaire

Le contexte européen


La question de l’emploi est en première ligne parmi les objectifs de l'Union européenne et répond d'ailleurs à la notion plus large de libre circulation qui est emblématique de l'UE. En 2018, la Commission Juncker a présenté une vision stratégique à long terme pour une économie prospère, moderne, compétitive et neutre pour le climat d’ici 2050. Cette vision ouvre la voie à une modification structurelle de l’économie européenne qui stimulera la croissance durable et l’emploi. De plus, la transition vers une économie circulaire et l’application des principes liés à cette économie profitera à l’Europe sur les plans environnemental et social en permettant notamment la création de plus d’un million de nouveaux emplois dans l’ensemble de l’UE.

L’agenda territorial 2030 fournit un cadre avec des actions concrètes pour encourager la cohésion territoriale en Europe et inclut l'emploi et le développement économique parmi les priorités à traiter. L’Europe compte de nombreux types de territoires qui présentent des potentiels et des problèmes de développement très variés. Ces disparités sont notamment dues à des économies d’échelle, à un accès inégal aux marchés et à l’emploi qualifié. L’Agenda territorial 2030 met ces défis en évidence et attire l’attention des décideurs politiques sur ces problématiques car il convient d’agir notamment en ce qui concerne l’emploi et le développement économique. Les inégalités et les disparités accrues conduisent à des différences considérables en termes de perspectives d’avenir.

Bien qu’elle figure parmi les priorités des politiques communautaires, la politique de l’emploi relève d’abord de la responsabilité des Etats. Les perspectives économiques et d’emploi sont soumises aux conditions du développement local, par-delà l’influence des décideurs locaux, régionaux, nationaux et européens. Ainsi, certains territoires sont plus susceptibles de réaliser de meilleures performances économiques et d’offrir davantage d’emplois. Dans le cas des programmes « investissements pour la compétitivité et l’emploi » soutenus par le FEDER, ce sont les régions qui assureront la gestion de l’intégralité de l’enveloppe financière.

Types d’obstacles à la mobilité des travailleurs :
  • Concernant la protection sociale, dans une étude du CESER Grand Est sur les obstacles transfrontaliers parue en 2017, les auteurs évoquent ce type d’obstacles notamment à travers les exemples de la sécurité sociale, des prestations sociales, et de l’indemnisation du chômage. Ce dernier et particulièrement important car les travailleurs frontaliers sont souvent les premiers touchés lorsque leur entreprise rencontre des difficultés économiques. Les territoires frontaliers sont des lieux de friction de politiques nationales. Par exemple, la législation européenne prévoit le transfert des droits, notamment de sécurité sociale, vers l’Etat membre où le citoyen travaille mais l’articulation des systèmes des différents pays peut s’avérer particulièrement complexe.
  • Le manque d’intégration des plans d’action pour l’emploi d’un territoire transfrontalier dans les plans d’activités nationaux crée un vide en termes de cadre et de moyens d’action propres et adaptés aux territoires transfrontaliers. La mobilité des entreprises et de leurs salariés y est freinée par l’imperméabilité des dispositifs d’aide à l’emploi établis selon les objectifs nationaux, bien que partant d’une stratégie européenne commune. L’accès aux droits est donc discriminant selon la provenance nationale du demandeur.
  • L’absence de lisibilité concernant les équivalences de diplômes et de certifications professionnelles acquises de part et d’autre de la frontière n’encourage pas l’exercice de professions sur l’autre versant frontalier. Le développement d’offres de formation intégrées, partagées entre des universités de part et d’autre de la frontière, entend répondre à cette difficulté.
  • Alors que l’on observe souvent une segmentation des actions des différents opérateurs concernés, il devient évident que la mise en réseau renforcée des partenaires socio-économiques - et des acteurs de l’emploi et de la formation - est le premier pas nécessaire pour favoriser une offre de services adaptée et coordonner les initiatives transfrontalières, de manière permanente. Les partenariats type EURES, service public de l'emploi européen proposant information, recrutement et placement, sont une réponse cohérente aux contextes transfrontaliers et adaptée aux spécificités du territoire. La réforme3 du réseau a vocation à renforcer son rôle de mise en relation demandeurs/employeurs ainsi qu’à favoriser le travail commun des acteurs de l’emploi et de la formation sur l’identification des secteurs et des métiers en demande. Ces actions peuvent être ainsi coordonnées sur un bassin d’emploi transfrontalier en fonction de ses besoins.
  • Pour un chercheur d’emploi, il est parfois difficile d’accéder à l’information sur la situation du marché de l’emploi de l’autre côté de la frontière ainsi que de bénéficier des services des agences pour l’emploi du pays voisin. Une coopération structurée entre les agents d’information ou la création de services communs permet d’élargir l’offre et de répondre plus efficacement aux besoins du marché.
  • Enfin, des difficultés d’ordre géographique viennent parfois compliquer la vie transfrontalière, comme l’offre lacunaire en transports transfrontaliers, infrastructures ferroviaires et routières saturées, ou les difficultés à trouver un logement dans des zones de plus en plus convoitées.

Parmi les outils à l’échelle européenne qui permettent de répondre à certaines des problématiques liées à l’emploi transfrontalier, le réseau EURES, mais aussi des dispositifs comme le cadre européen des certifications facilitant les comparaisons et ainsi la mobilité, le cadre Europass (ensemble de documents standardisés pour l’emploi pris en charge par des centres Europass en Europe), la carte professionnelle européenne ou la classification européenne ESCO, système de recensement des aptitudes, certifications et professions. La stratégie européenne pour l’emploi soutient à son tour la création d'emplois, la relance de la dynamique des marchés de l'emploi et la gouvernance des politiques.

La création de véritables marchés du travail transfrontaliers, telle que préconisée par la Commission européenne 1, présente aussi de nombreux avantages tant pour les entreprises que pour les demandeurs d’emploi : les employeurs ont accès à un plus grand nombre de profils et de compétences et les demandeurs d’emploi peuvent accéder à davantage d’offres. A l’heure actuelle, la promotion de la formation et de la recherche d’emploi par-delà les frontières est rarement effectuée de manière systématique, ce qui rend difficile la maximisation du potentiel de la demande et de l’offre disponibles dans l’ensemble de la région transfrontalière. De plus, les régions transfrontalières ne sont pas considérées comme des territoires "uniques". Pourtant, il est nécessaire que les travailleurs frontaliers disposent des mêmes droits dans la pratique que les travailleurs qui ne franchissent pas quotidiennement une frontière. Les cadres juridiques nationaux et régionaux doivent donc être examinés et révisés afin de ne pas placer les travailleurs transfrontaliers dans une situation précaire. Les procédures administratives applicables aux travailleurs frontaliers devraient être équivalentes à celles qui s’appliquent dans le contexte national afin d’éviter des situations incohérentes ou inutilement complexe.

FOCUS : La crise sanitaire et le télétravail


La crise du COVID-19 a introduit plusieurs défis pour l'emploi en général, mais surtout pour les travailleurs transfrontaliers qui ont rencontré des difficultés, voire des interdictions, pour se rendre sur leur lieu de travail. C'est ainsi qu'est né un phénomène qui s'est depuis largement répandu : le télétravail.

Le travail à distance à plusieurs effets sociaux, économiques et politiques.
Une étude de la MOT offre une analyse globale du télétravail transfrontalier, de ses impacts et des accords politiques qui y sont liés. Cette étude met aussi en évidence l’augmentation impressionnante de cette forme de travail pendant la crise, d’environ 22,000 (5%) télétravailleurs en 2018 à plus de 125,000 (28%) en 2020. Voir graphique ci-dessous.

Pendant la crise, certains pays comme la France, l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et la Suisse ont conclu des accords amiables concernant les travailleurs frontaliers et transfrontaliers. Ces accords ont permis aux personnes bénéficiant des régimes spécifiques d’imposition de continuer à en bénéficier même si elles étaient conduites à demeurer chez elles pendant la crise sanitaire. Les règlements fiscaux (échelle bilatérale) et de sécurité sociale (échelle européenne) ont continué à changer pour s’adapter à cette évolution qui perdure même après le pic de la crise sanitaire. Un exemple est l’accord sur le télétravail entre la Suisse et la France, entré en vigueur le 1er janvier 2023, qui permet le télétravail jusqu’à 40% du temps de travail par an sans remettre en cause l’état de l’imposition des revenus de l’activité salariée. Dans le courant de la même année, un accord-cadre multilatéral, proposé aux membres de l'UE et de l'Association européenne de libre-échange dont fait partie la Suisse, a été signé, ainsi permettant le maintien à la législation sociale de l’État d’emploi des travailleurs frontaliers qui télétravaillent moins de 50 % de leur temps de travail dans leur État de résidence.

"Impacts du télétravail frontalier : de marginal à indispensable", étude de la MOT, 2022, p. 29.